L'Histoire de la Masso-Kinésithérapie

 

 

La masso-kinésithérapie (du grec « kinésis », mouvement et « therapeia », soin) regroupe tous les modes de traitement qui agissent sur l'organisme en lui imprimant des mouvements soit actifs, soit passifs : massages, mobilisations, gymnastique, mécanothérapie, etc. Elle fait partie des professions paramédicales, du domaine de la rééducation et de la réadaptation fonctionnelle.
L'histoire de la kinésithérapie ne date pas de la création du diplôme de masseur-kinésithérapeute : le principe du soin par le massage et le mouvement est ancré dans la nuit des temps, sa pratique fut longtemps réservée aux médecins, jusqu'au XXème siècle où le progrès médical et l'élargissement des champs d'activité qu'il entraîne nécessitera la formation d'auxiliaires médicaux spécialisés. Mais quelles ne furent pas les batailles pour gagner l'autonomie de la profession qui, si elle a obtenue la reconnaissance médicale, voit maintenant son domaine de compétence sans cesse grignoté.

 

Avant le XIXème siècle : l'apparition d'une nouvelle approche thérapeutique

 

Qi GongAsklépiosComme le massage, la thérapie par le mouvement pourrait trouver son origine dans l'Antiquité. En Chine, KONG FU, 2700 ans avant J.C. fait appel à la gymnastique, aux postures et au contrôle respiratoire en fonction des symptômes ressentis, dans le but de « de favoriser l'harmonie entre les facultés intellectuelles et les différentes parties du corps afin que l'âme ait un serviteur puissant et fidèle ». Le Qi-Gong et le Tai-Chi sont des gymnastiques douces et lentes issues de la médecine traditionnelle chinoise recherchant l'harmonie de l'énergie vitale avec le corps et l'esprit.

En Inde, 1600 ans avant J.C. l'Ayurveda préconise des mouvements passifs et des exercices corporels.

L'époque gréco-romaine, quand à elle, marqua fortement la cuture occidentale en posant les fondements de sa médecine. Le grec HERODICOS de Sélymbria (VIème-Vème siècle avant J.C.), pédiotribe devenu médecin après avoir eu la chance de guérir de son infirmité en s'adonnant à des exercices, puis son élève, HIPPOCRATE (Vème-IVème siècle avant J.C.), préconisent la gymnastique médicale et les massages dans la préparation des athlètes dans les palèstres. Le médecin romain GALIEN (131-201 après J.C.) élabore une théorie explicative de la contraction musculaire et du mouvement : « Celui qui exécute un exercice pour lequel il faut force et vigueur étend et fléchit les bras en maintenant les mains fortement accolées, sans trembler. Mais si un partenaire tire sur les mains et qu'il résiste à la traction, il fortifie davantage ses muscles et ses tendons. ».

Au Moyen-Age, l'Université médiévale n'inclut aucun des arts mécaniques, sauf la médecine, et encore, dans sa version la moins manuelle, la plus spéculative, celle qui exclut la chirurgie. Les facultés avaient une grande importance sociale et intellectuelle, à condition que leur enseignement soit assez théorique et qu'il n'incluse jamais d'apprentissages manuels, car ce sont là des conduites d'esclaves. Les avancées médicales sont pauvres et le rigorisme religieux dénigre tout travail de recherche en anatomie et physiologie humaine au point que la théorie empirique des 4 humeurs énoncée par HIPPOCRATE et reprise par GALIEN persistera comme paradigme dans la médecine européenne et ne sera remise en cause que 13 siècles plus tard, à la Renaissance. Le Christianisme réprouve les soins du corps qu'il estime inconvenants. Ceux-ci sont abandonnés et les moines médecins trouvent les incantations et les oraisons plus convenables que le massage et la gymnastique qui tombent dans l'oubli : l'hygiène, les bains et les thermes furent détruits, les soins du corps regardés comme un luxe inutile. Tout au plus la médecine populaire en sauve-t-elle quelques brides. La thérapeutique manuelle et mécanique devient la proie des charlatans et des rebouteurs.

Nicolas Andry de BoisregardGymnastique médicinale de Tissot (1780)L'Epoque Moderne voit les découvertes scientifiques s'accroître. SYMPHORIEN CHAMPIER (1472-1539) puis AMBROISE PARE (1509-1590) ouvrent la voie scientifique de la rééducation par le mouvement. L'italien GIOVANNI ALFONSO BORELLI (1608-1679) comprend que les muscles créent des forces proportionnées à leur structure, ce qu'il explique dans De Motu Animalium. Le médecin allemand FRIEDRICH HOFFMANN (1660-1742) décrit la gymnastique médicale dans son traité de médecine, De Motu Optima Corporis Medicina, dans lequel ildistingue le mouvement passif du mouvement actif. A la même époque, le doyen de la Faculté de Paris NICOLAS ANDRY DE BOISREGARD (1658-1742) publie L'Orthopédie ou l'Art de prévenir et de corriger dans les enfants les difformités du corps, ouvrage dans lequel la thérapie par les exercices physiques est détaillée. Citons enfin, JOSEPH CLEMENT TISSOT (1747-1826), chirurgien des armées de Napoléon, qui décrit en 1770 les applications thérapeutiques de la gymnastique.

Au début du XIXème siècle, la mouvance hygiéniste, préventive et curative, du soin par le mouvement, qu'il soit actif par la gymnastique ou passif par le massage et la mobilisation, va se concrétiser comme une discipline thérapeutique à part entière grâce au suédois PEHR HENRIK LING (1776-1839), considéré comme le « père de la masso-kinésithérapie ». LING élabore une méthode de gymnastique préconisant une pratique graduelle et adaptée : pédagogique, médicale, militaire et ascétique. Il collabore avec le gouvernement suédois afin de former des professeurs d'éducation physique au sein du Royal Gymnastic Central Institut (qui ouvre en 1813 à Stockolm et qu'il dirigera jusqu'en 1836) et de l'Institut de Gymnastique Orthopédique (créé en 1827). Il rédige un peu plus tard Les fondements généraux de la gymnastique. A partir de 1837, L'Institut central de gymnastique de Stockholm délivre le diplôme de médecin-gymnaste à ses élèves qui partent ensuite ouvrir en ville des salles de gymnastique et de massage. Un médecin suédois, le Docteur GUSTAV NORSTROM, promoteur du procédé, tente de convaincre ses confrères parisiens de l'intérêt de la pratique en ville. Il est l'auteur de nombreuses publications sur le traitement des maladies par le massage, notamment des traumatismes orthopédiques (1887), par le massage et la mobilisation passive en s'inspirant des méthodes des rebouteurs.

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Au XIXème siècle : l'avènement de la gymnastique médicale

Texte et images extraits de l'« Emergence de la Kinésithérapie en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle »,
de Jacques MONET, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Paris I - Panthéon Sorbonne, 2003.

 

          En France, un reconnaissance difficile et principalement hospitalière

GeorgiiLe terme de "Kinésithérapie" apparaît en 1847 en Suède à l'initiative de GEORGII (1808-1881), élève de LING, pour décrire l'ensemble des exercices de la gymnastique suédoise à visée thérapeutique mais il passe d'abord inaperçu dans le monde médical. Sont différenciés sous un vocable unique les notions de mouvement passif et de mouvement actif destinés à guérirAlexandre-Napoléon Laisné à l'âge de 75 ans en action, avec et sans appareil ou assistant. Même si en France, dès 1827, le Docteur CHARLES LONDE précise que la gymnastique comprend des exercices actifs, passifs et mixtes, les médecins français ne voient pas son indication dans les affections médicales, ce que déplore le Docteur FERNAND LAGRANGE dans un rapport remis à l'Académie de Médecine en 1890 à son retour de mission en Suède. Ceci vient de l'approche essentiellement athlétique et militaire de l'éducation physique en France, sa seule formation étant alors assurée par l'Ecole de gymnastique militaire de Joinville-le-Pont (ouverte en 1852 et sans concurrence officielle jusqu'en 1903). Le corps médical, qui dispute le monopole de l'enseignement de la gymnastique aux militaires et aux gymnastes, reconnaît l'aspect préventif de l'exercice mais pas en tant que remède applicable aux maladies déclarées.
Un premier développement de la gymnastique médicalisée et orthopédique se fait sous la poussée des gymnasiarques (chef de gymnase) comme ALEXANDRE-NAPOLEON LAISNE (1811-1896). Ce professeur de gymnastique de l'Ecole Polytechnique, du lycée Louis le Grand et directeur des gymnases des lycées de Paris est chargé en 1847 par le Conseil Général des Hôpitaux de l'organisation des leçons de gymnastique à l'hôpital des Enfants Malades. Après 4 mois d'essai sur des enfants scrofuleux à raison de 3 séances d'une heure par semaine, les résultats escomptés sont dépassés, médecins et pharmaciens attestant de l'efficacité de la méthode. L'expérience est renouvelée avec succès sur d'autres pathologies, notamment les affections nerveuses comme la chorée, en associant à la gymnastique les massages et les frictions. La notoriété grandissant, la gymnastique se propage dans les hôpitaux parisiens et LAISNE devient directeur titulaire (rémunéré 2 000 francs l'an) du gymnase des Enfants Malades. De petits patients atteints de maladies nerveuses, en dehors des hospitalisés, sont admis aux exercices de gymnastique trois fois par semaine dans les hôpitaux d'enfants où Mr LAISNE dirige les leçons, assisté d'un professeur de gymnastique de lycée et Cours de gymnastique collectif en Suèdede son épouse, une ancienne patiente atteinte de chorée dont il obtena la guérison au bout de 656 séances mais qui mourut à l'âge de quarante ans. De 1854 à 1862, 549 516 séances de gymnastique sont données dont 10 390 pour les malades externes. Les recherches du docteur BLACHE et du docteur BOUVIER, chef de service et fondateur de l'orthopédie médicale, sont venues préciser l'action thérapeutique des exercices musculaires dans ces névroses locomotrices et fournissent une clientèle à LAISNE pour des traitements en ville. Le chirurgien DE SAINT-GERMAIN (1835-1897), chef de service à l'Hôpital des Enfants Malades en 1873, poursuit dans cette voie en employant la gymnastique en orthopédie pour le traitement des déformations vertébrales.

Si des avis contradictoires sont émis sur la place du massage par le Docteur JOSEPH MARIE PARROT (1829-1883), médecin de l'hôpital qui considère qu'il n'est qu'un moyen secondaire aux exercices de gymnastique, cette dernière devient une thérapeutique à part entière, en concurrence avec les autres traitements admis à l'époque. Mais en l'abscence d'uneGeorges Demeny méthodologie précise, c'est la personalité, l'endurance physique et la pédagogie du praticien qui influent sur l'efficacité. Ne connaissant pas la médecine, LAISNE applique un amalgame de techniques personnelles de massage, frictions et mouvements non spécifiques de la patholgie. Sans école de gymnastique médicale, la transmission des savoirs pratiques ne se fait pas et la méthode de LAISNE, malgré ses résultats, ne dépasse pas le stade de l'expérimentation. L'utilisation d'une gymnastique médicalisée reste secondaire et n'est acceptée que partiellement dans le corps médical français, par manque d'auxiliaires gymnastes instruits et correctement formés à l'anatomie humaine, mais aussi par crainte de l'emprise de ces praticiens non médecins sur cette discipline médicale et de la concurrence qui en découlerait. Ce n'est que vers la fin du XIXème siècle que les travaux du Professeur ETIENNE-JULES MAREY (1830-1904) et de son préparateur au Collège de France, GEORGES DEMENY (1850-1917), apporteront un concours déterminant à la connaissance de la mécanique humaine, de la physiologie des mouvements et des exercices : le premier, médecin ingénieur, en mettant au point les instruments donnant la possibilité d'enregistrer, évaluer et visualiser la motricité, le deuxième en créant en 1889 le Cercle de Gymnastique Rationnelle, jettant les premières bases scientifiques de l'éducation physique.

 

          En Suède, les premiers cabinets de masso-kinésithérapie

Gymnastique suédoise dite à 2Gymnastique suédoise dite à 2En revanche, la Suède connaît l'essor de nombreux établissements où s'exécutent les ordonnances médicales sur lesquelles sont prescrits des exercices gymniques. Constituant un véritable modèle paramédical et précurseurs des cabinets de masso-kinésithérapie modernes, ces instituts de gymnastique sont autant d'"officines de mouvements" comme il existe des officines délivrant des médicaments. Chaque personne à sa demande peut être admise chaque jour pour y exécuter la prescription du médecin, certains de ces instituts employant des aides ou gymnastes, d'autres ayant recours à des appareils pour remplacer les aides car se pose aussi le problème de la disponibilité du praticien : la gymnastique médicale suédoise nécessite le contrôle permanent d'un professeur guidant ou s'opposant au mouvement du patient, excluant ainsi une prise en charge collective. L'institut médical du Docteur ANDERS WIDE reçoit chaque jour une centaine de femmes et d'hommes et « pour appliquer le traitement, il ne faut pas moins d'une vingtaine d'aides des deux sexes ». Le malade, muni de sa feuille d'ordonnance, se met entre les mains du gymnaste qui doit lui faire exécuter les mouvements, au nombre de dix ou douze, prescrits par le médecin. Chaque mouvement exige environ cinq à six minutes, au bout desquelles l'exercice est interrompu pendant un temps à peu près égal pour être repris et continué par temps successifs, la séance complète durant une heure. Lors des intervalles de repos, le gymnaste va donner ses soins à un autre patient ou prêter son concours à un collègue. Dans le même domaine, il existe des variantes de structure, des instituts privés dirigés par des gymnastes pourvus de leur diplôme supérieur mais inspectés par des médecins, ainsi que des maîtres de gymnastique qui se rendent à domicile pour appliquer l'exercice de la gymnastique dans les familles. La forme simple de la gymnastique suédoise et son outillage peu encombrant en font le type de la gymnastique de chambre. Il faut ajouter que la facilité des le Docteur Zandermouvements et le peu d'efforts qu'ils exigent (ce qui la différencie de celle pratiquée en Catalogue de la maison Drapier (1911)France, plus athlétique et sportive) la rendent possible à tout âge. Aussi, parmi les personnes d'âge mûr qui ne fréquentent plus les gymnases, en est-il un grand nombre qui chaque matin « prennent leur gymnastique », soit en exécutant un certain nombre de mouvements libres, soit en ayant recours à un ou deux appareils qui trouvent aisément leur place dans un cabinet de toilette : un espalier contre le mur, une barre horizontale dans l'embrasure d'une porte, etc.

En 1857, l'expérience professionnelle du Docteur ZANDER, médecin-gymnaste suédois, élève de LING, met en évidence la pénibilité de la pratique pour conduire un traitement gymnique. Il constate que l'on peut substituer à l'aide (ou gymnaste) une machine réglée par avance : c'est la mécanothérapie. C'est un autre mode d'application des mêmes principes pour provoquer et produire les mêmes mouvements que la gymnastique suédoise. Ainsi le Docteur ZANDER fabrique-t'il de nombreux appareils pour éviter les incommodités de la méthode manuelle et donner un dosage et un réglage précis de chaque mouvement : 37 appareils sont destinés aux mouvements actifs, 8 aux mouvements passifs, 11 à des correctionsAppareils de massage en mécanothérapie Zander (1893) orthopédiques et les autres à des opérations mécaniques (14). Chaque machine, d'une utilisation simple, produit un mouvement spécial nettement déterminé en fonctionnant soit au moyen de la force musculaire ou le poids du sujet, soit grâce à un moteur quelconque, à vapeur, à gaz ou à l'électricité. ZANDER fait connaître son invention lors des expositions de Philadelphie, de Bruxelle Appareil de mécanothérapie (Levertin 1893)(1876) et de Paris (1878) et ouvre des instituts médico-mécaniques Zander où seuls sa méthode et son matériel brevetés sont exploités sous la direction de médecins. En 1893, on en dénombre 24 répartis en Europe et en Amérique. Les appareils de Zander offrent 2 avantages aux médecins-gymnastes qui les emploient : d'une part, ils les soulage de la fatigue et des efforts physiques qu'induit l'application des exercices de gymnastique, d'autre part ils sont un moyen de remplacer les aides, donc la présence de concurrents et de conserver à la profession médicale le monopole de la gymnastique médicale sans partage et avec entière maîtrise du marché. Par la même occasion, le Docteur FERNAND LAGRANGE souligne que la mécanothérapie permet de pallier le manque d'aides gymnastes qualifiés en France, de rendre le malade responsable de son travail et de réduire le coût du traitement.

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Massage empirique hygiénique contre massothérapie scientifique médicale

Texte et images extraits de l'« Emergence de la Kinésithérapie en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle »,
de Jacques MONET, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Paris I - Panthéon Sorbonne, 2003.

Le massage à visée thérapeutique n'a connut qu'une évolution marginale dans la pratique médicale. Dans l'Antiquité, il était courant de bénéficier du massage dans les thermes et les hammams et l'éthymologie même du mot "Massage" remonte à cette époque. Mais il faut préciser que ses racines, qu'elles soient grecque, arabe ou hébraïque, ne décrit que l'action, le geste : presser, palper ou frotter, à l'image de la traduction latine "frictio". Aucun mot ne regroupe l'ensemble des techniques dans le but de définir une discipline à part entière. En fait, le terme de "Massage", alors appelé aussi "Massement", est officiellement admis au début du XIXème siècle, mais est souvent confondu avec la notion de "gymnastique". D'ailleurs LING ne fait pas de distinction entre les 2 concepts, les manoeuvres de massage étant désignées comme "gymnastique suédoise" au même titre que les exercices actifs. Les Docteurs FORESTIER et DAQUIN rapportent que la méthode du massage paraît avoir été empruntée en 1799, au retour de l'expédition de BONAPARTE, aux égyptiens qui, à la sortie du bain, frottaient tout le corps (« matz » exprimant l'action de masser). L'association de la douche et du massage fut introduite aux thermes d'Aix-les-Bains, représentant alors un moment important de la cure dénommé "douche-massage". Le massage est alors considéré pour ses vertus hygiéniques et préventives et non encore pour son action médicale curative.

 

          Organisation et structuration de la pratique du massage

Docteur Dujardin-BeaumetzL'Hôpital des Enfants Malades, à Paris, va de nouveau s'affirmer comme étant le lieu d'édification et de concrétisation de la masso-kinésithérapie moderne. Outre le traitement des troubles neurologiques par la gymnastique et le massage dispensés par le gymnaste NAPOLEON LAISNE lui-même chapeauté par le Docteur BOUVIER, on assiste à une première tentative de médicalisation du massage grâce aux travaux du Docteur JACQUES ESTRADERE. Né à Bagnères de Luchon (connue pour son établissement thermal dans lequel on pratique le massage et l'hydrothérapie depuis 1850), il effectue sa thèse dans le service du Docteur BOUVIER dont il était externe et la soutiendra la même année et devant le même jury que celle du Docteur GUSTAVE CHANCEREL, dont le sujet traitait de l'Histoire de la gymnastique médicale.
Dans sa thèse, JEAN DOMINIQUE ESTRADERE divise le procédé du massage en 2 activités distinctes : le massage hygiénique s'adressant au corps sain pour améliorer ou conserver la santé, et le massage thérapeutique réservé au corps malade qui nécessite le concours et la présence du médecin. C'est le premier auteur à présenter au corps médical dans un même traité un ensemble hiérarchisé de manipulationsLe Docteur Johann Georg Mezger et une de ses patientes, Marie de Hollande (épouse du prince Wilhem zu Wied) manuelles et instrumentales qui constituent le massage. Pour distinguer cette démarche de validation médicale, un nouveau terme, "pselaphie" (du grec "tâter dans l'obscurité, tâtonner, caresser, toucher") est proposé en 1871 par le Docteur EUGENE DALLY en remplacement des mots "massage" ou "massement". Il s'agit de ramener et convaincre le monde médical de l'intérêt du massage face à la concurrence des « incompétents, garçons de bains des stations d'eau et rebouteurs ». Dans le même esprit, le Docteur DUJARDIN-BEAUMETZ, médecin des hôpitaux, membre de l'Académie de Médecine, préfère le terme de "massothérapie" (1886) pour désigner l'application du massage aux maladies.

Le Docteur JOHAN GEORG MEZGER né à Bonn (Prusse rhénane) en 1838, médecin hollandais, ancien professeur de gymnastique « solidement bâti et vigoureux », donne dès 1853 une nouvelle impulsion à la pratique du massage auquel il applique la mobilisation passive et active dans le traitement des entorses. De plus, c'est le premier à adopter les termes français qui décrivent les manoeuvres de massage tels qu'on les nomme actuellement (pétrissage, effleurage, friction, etc).Elisabeth impératrice d'Autriche-Hongrie (alias Sisi)
Fils d'un boucher qui émigra d'Allemagne à Amsterdam, MEZGER participe alors dans sa jeunesse comme garçon-boucher au travail de la boutique familiale et suit parallèlement des cours de gymnastique. Ses observations sur les animaux, notamment sur le fonctionnement des muscles, l'amènent à embrasser une carrière médicale en débutant ses études à l'Université de Médecine de Leiden et devint l'un des premiers physiothérapeutes au monde. Son succès est immédiat et sa réputation européenne, il travaille auprès des cours royales de Prusse, de Russie et des pays scandinaves, ainsi qu'à Paris. Sa méthode est introduite en Allemagne, en Suisse et en Autriche, de nombreux praticiens vont s'inspirer de "l'école d'Amsterdam" ; l'apprentissage, dénué de cours théoriques, se basait sur l'observation du maître et de ses mains guidées par ses connaissances en physiologie, anatomie et pathologie. Les seules conditions imposées aux élèves étaient d'être médecin et de rester 3 mois.
MEZGER se marie en 1874 avec la fille d'un banquier et quitte Amsterdam et les salons de l'Amstel-Hôtel (où il recevait ses patients 2 fois par La villa Irma du Docteur Mezgersemaine) pour s'installer en 1886 à Domburg d'où est originaire son épouse, un petite station balnéaire à la mode dans la région de la Zélande, au Sud-Ouest des Pays-Bas sur les rivages de la Baie flammande de la Mer du Nord. MEZGER y ouvre un centre de thalassothérapie en 1889, le "Badpaviljoen" et reçoit ses patients dans sa maison personnelle, la villa "Irma". Il ne se déplace alors plus pour personne, les princes et princesses qui ont recours à son traitement doivent se rendre auprès de lui, même Elisabeth l'impératrice d'Autriche-Hongrie (la célèbre Sisi). Le Pape est la seule personne pour laquelle il ait fait exception en venant à Rome. Son tarif est unique, il traite aussi bien les adultes que les enfants, l'aristocratie européenne comme les paysans de la région. Ainsi, la légende dit que lorsque les fermiers attendaient leur tour assis dans la salle d'attente, ils étaient prioritaires car MEZGER considérait leur temps plus précieux. Quand une "lady" s'en offusquait en s'exclamant : « Mais Docteur, je suis une comtesse ! », il répliquait calmement : « Madame, je ne connais pas de comtesses, je ne connait que des patients ». MEZGER décède en 1909 à Paris et est entéré à Oostkapelle, près de Domburg. De nombreux portraits photographiques des patients de MEZGER au Badpaviljoen sont visualisables en cliquant ici.

 

          La médicalisation d'un massage scientifique

Docteur Lucas-ChampionniereLes expérimentations sur les effets physiologiques du massage se multiplient à l'étranger. Les recherches sur l'Homme du Docteur ZABLUDOWSKY (1885), professeur de massage à l'institut de Berlin, et celles sur les animaux du Docteur VON MONSENGEIL (1876), élève de MEZGER, laissent la France perdre son avance médicale dans le domaine. Néanmoins, le Docteur GEORGES BERNE, élève de VAN MONSENGEIL, entreprend en 1884 des études cliniques sur les effets du massage général et démontre les modifications de la température corporelle, de la circulation, de la respiration, de l'excrétion de l'urée et de l'acide phosphorique. Par la suite, il élabore un protocole de massothérapie dans le traitement des fractures, et en conteste l'originalité à LUCAS-CHAMPIONNIERE. Il estime enfin que le massage est un acte médical qui ne peut être délégué à des aides médicaux et dénigre les praticiens de massage hygiénique.Manoeuvre de massage par Lucas-Championniere
Le Docteur JUST LUCAS-CHAMPIONNIERE, chirurgien des hôpitaux, membre de l'Académie de Médecine en 1885, ancien interne de DE SAINT-GERMAIN à l'hôpital des Enfants Malades, chef du service de chirurgie de l'Hôpital Beaujon et premier président de la toute jeune Société de Kinésithérapie (1900), publie en 1889 son ouvrage "Traitement des fractures par le massage et la mobilisation" puis une version plus complète en 1895. Cet ouvrage didactique, au plan précis, aux arguments clairs, illustré de photogravures, est le premier ouvrage pratique de massage appliqué au traitement des fractures. Destiné au public médical, il apparaît pour beaucoup de gens une oeuvre paradoxale et révolutionnaire car la thérapie des fractures dans la chirurgie de l'époque s'appuyait presque exclusivement sur l'immobilisation, source de douleur et d'enraidissement.
Manoeuvre de massage d'après l'ouvrage du Dr Petit qui s'est inspiré des livres du Dr Reibmayr En 1883, Le Docteur PETIT, cadet de 20 ans d'ESTRADERE devenu médecin thermaliste, sollicite l'avis du Docteur DUJARDIN-BEAUMETZ, dont il est l'élève, sur l'opportunité de la traduction d'un opuscule du Docteur ALBERT REIBMAYR, médecin à Vienne. Cette traduction, publiée en 1885 avec pour titre "Le Massage par le médecin", marque une étape importante dans le processus de légitimation de la méthode en France en recevant la caution des médecins des hôpitaux de Paris. L'aspect curatif de la méthode est fortement souligné par l'auteur qui exprime le souhait de « rester médecin tout en faisant du massage » et de faire disparaître le masseur de métier qui représente un danger, même dans l'exercice du massage hygiénique. Ainsi, le Docteur PETIT cite son confrère chirurgien DE SAINT GERMAIN qui décrit dans son ouvrage "La Chirurgie Orthopédique" (1883) les impressions ressenties lorsDocteur De Saint-Germain d'un massage réalisé dans un établissement de bains à Paris : « Supposons que vous alliez vous faire masser dans un de ces établissements si commun en Orient et que la mode, peut-être plus encore que l'hygiène, a fait adopter à Paris. Votre mauvaise fortune vous a-t-elle fait tomber sur un masseur anglais taillé en athlète ou sur un de ces Avernes déclassés, dont la vrai place serait autour de la halle au blé, vous vous sentez pétri, moulu, brisé, et après quelques minutes d'une lutte inégale, engagée par surprise, vous êtes absolument courbaturé. Aussi bien, loin de vouloir goûter cette douce quiétude que le bain turc promet à ses adeptes, vous mettez plusieurs jours à vous remettre d'une fatigue qui ne cédera qu'après des bains prolongés, à des bains anodins, suivant la tradition de nos pères. Heureux Massage sous l'eau dans une cure thermaleencore, si à la suite de ces sévices, vous ne constatez pas sur quelque point de votre individu un hématome prêt à se transformer bientôt en abcès. ». Ce bien-être du massage hygiénique se retrouve dans les Souvenirs sur Guy de Maupassant par François, son valet de chambre, dans un voyage en Tunisie en 1887 : « Hier, j'ai pris un bain de vapeur excellent, suivi de massage. Ce nègre masseur est extraordinaire et d'une force incroyable, genre Kakléter. Il vous tourne et retourne sur la table, comme si l'on était qu'un petit enfant. Il fait faire aux membres des jeux à croire qu'il va vous les détacher et cela avec une douceur parfaite, sans vous faire aucun mal ; pour finir, il saute sur la table, vous prend les jambes et vous glisse son talon tout le long de l'épine dorsale, puis vous repose sur la table, comme un lapin qu'on fait passer de vie à trépas par cette opération ».
La stratégie consiste à laisser aux masseurs professionnels le massage hygiénique qui est parfois dangereux, brutal et douloureux modifiant la représentation que l'on a du massage. Les stations thermales les plus en vogue sont d'après PETIT victimes de la succession des séances, « c'est le massage forcé, obligatoire, pendant les 21 jours du traitement » et beaucoup de malades reviennent souvent plus souffrants à cause des manoeuvres mal proportionnées. Si le massage bien fait peut être utile, la massage mal fait peut être néfaste : « que d'insuccès, que d'exacerbations de douleurs, que de retours inflammatoires ne sont dus qu'à la brutalité des masseurs ». Aussi, le masseur professionnel est-il déprécié, lui qui « aux eaux ou chez soi » n'est qu'un instrument inconscient auquel on dit « masse », massage « inintelligent, non scientifique ».

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L'émergence de la physiothérapie

Texte et images extraits de l'« Emergence de la Kinésithérapie en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle »,
de Jacques MONET, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Paris I - Panthéon Sorbonne, 2003.

Le XIXème siècle fera de la thérapie physique un champs d'activité médical en pleine expansion. Suivant de près les progrès scientifiques et techniques de cette époque industrielle, de nouvelles disciplines explorent des façons innovantes de traiter les patients en utilisant des agents physiques comme l'eau, l'électricité ou autres fluides : hydrothérapie, thermalisme, climatothérapie, électrothérapie, metallothérapie et magnétisme sont rassemblées sous la dénomination de la physiothérapie, très présente ensuite dans les deux premières décennies du XXème siècle.

 

          L'hydrothérapie

Douche-massage à VichyMassages dans une cure thermaleDéjà en vogue au XVIIIème siècle, alors réservé à une clientèle solvable et mondaine, le thermalisme connaît son âge d'or au XIXème siècle, notamment sous le Second Empire et la IIIème République qui apporte une clientèle d'élite. La fin du XIXème siècle est marquée par « par une fièvre d'investissements thermaux », on recherche de nouvelles sources et on dénombre pas moins de 210 stations en activité. Les médecins thermaux deviennent nombreux et s'organisent au sein de la Société d'Hydrologie médicale de Paris en 1853 et celle du Midi en 1858. Le corps médical est investi dans le thermalisme d'autant que l'enseignement de l'hydrologie est assurée dans trois facultés, celles de Lille, de Bordeaux et de Toulouse qui possèdent des chaires d'hydrologie. A Paris, l'enseignement est partagé entre les professeurs de physique, de clinique médicale et de thérapeutique dont fait partie le Professeur LANDOUZY qui sera le fondateur en 1893 de la crénothérapie (traitement des maladies par les eaux de source). Ce dernier organise dès 1899, chaque année jusqu'en 1911, des voyages d'études qui regroupent des centaines de médecins de toutes nationalités. Ils renforcent la légitimité de ces pratiques et la promotion des stations, et s'efforceront d'analyser les constituants des eaux thermales et de mettre en évidence leurs effets curatifs. L'incidence des découvertes sur l'ionisation, les éléments traces, les gaz rares, la radioactivité va enrichir l'intérêt de l'hydrothérapie à laquelle on va associer l'héliothérapie (soin par le soleil) et la thalassothérapie (soin par l'eau de mer). Les techniques vont se diversifier dans l'objectif d'amener l'eau thermale le plus près possible des régions à traiter : douches nasales, insufflations, gargarismes, lavages vésicaux, irrigations vaginales, goutte à goutte rectal, etc, et bien sûr l'ingestion des eaux et leur application sur Portrait de Charcotle corps combiné au massage.
Le Professeur JEAN MARTIN CHARCOT (1825-1893), membre de l'Académie de Médecine (1873) et deLe Professeur Jean Martin Charcot durant une leçon avec une patiente hystérique à la Salpêtrière l'Académie des Sciences (1883) est le médecin chef de l'Hospice de la Salpêtrière à partir de 1862. Il transforme en 20 années cet hôpital de mauvaise réputation que l'on dénommait le "Versailles de la misère" en un pôle d'attraction international et moderne. Il inaugure en 1882 la première chaire mondiale de clinique neurologique, réorganise l'asile de la Salpêtrière en séparant les épileptiques et les hystériques des aliénés, offrant ainsi une approche différente des méthodes d'investigation des pathologies et la constitution de nouvelles disciplines médicales, à l'émergence de la psychiatrie (SIGMUND FREUD lui-même a suivi son enseignement d'Octobre 1885 à Février 1886). Il propose de nouvelles thérapeutiques comme l'électrothérapie, l'hypnose, la ré-éducation des mouvements, l'hydrothérapie. Pour ce faire, l'école de la Salpêtrière a choisi Lamalou-les-Bains (dans l'Ouest de l'Hérault, près de Béziers) qui va devenir un centre de traitement des maladies neurologiques et un des premiers centres de rééducation. Cette station, dont l'étymologie patoise du nom ("La malou") signifie "douleur", était déjà connue comme la plus efficace dans les myélites chroniques. On y trouve une statue de Charcot qui ne s'est jamais rendu dans la station. Lamalou le bas fut le premier établissement construit à partir d'une résurgence découverte au XVIIème siècle à la suite d'un percement d'une galerie minière. Mais CHARCOT développe aussi l'hydrothérapie à la Salpêtrière qui va devenir un véritable temple de la balnéothérapie. La piscine aménagée au centre du service évoque les bains romains par ses marbres majestueux et sont disposés tout autour de très nombreux appareils de douches à différentes pressions, à différentes températures, verticales, en spirale, en jet, accompagnés de bains sulfureux ouDouche-massage dans un établissement thermal électrostatiques, d'étuves, d'enveloppements, de lotions, etc, témoignant de l'importance que CHARCOT attachait à ces méthodes pour soigner les maladies nerveuses.

La climatothérapie et l'aérothérapie sont expérimentales, d'application complexe par l'utilisation d'instruments que l'on ne peut se procurer facilement et d'un prix élevé, limitant la mise en oeuvre en ville. Bien qu'HIPPOCRATE ait longuement abordé le sujet et que des recherches sur la température, l'humidité, la sécheresse, l'altitude, les vents essayent d'en trouver une application médicale, les effets de la climatothérapie sont moins probants et sont indiqués à l'époque principalement aux malades porteurs de tuberculose pulmonaire et osseuse (centres héliomarins de Berck et d'Hendaye pour les enfants, sanatoriums).

 

          L'électrothérapie

Docteur Duchenne de BoulogneLe traitement par l'électricité à la Salpêtrière vers 1880L'électricité est un nouvel agent que le Docteur DUCHENNE de BOULOGNE (1806-1875), considéré comme le père de l'électrothérapie, a appliqué en pratique médicale et en particulier à la Salpêtrière où l'on développe l'électrisation localisée des muscles ou des nerfs par du courant galvanique. La méthode va permettre également de préciser la fonction de chacun des muscles du corps humain et d'établir le diagnostic de certaines maladies en localisant leur origine. Le Professeur CHARCOT installe en 1880 un cabinet d'électrodiagnostic et d'électrothérapie dont il confie la direction au Docteur ROMAIN VIGOUROUX qui traite des malades au moyen de l'électricité statique, des courants galvanique et faradique : on applique le pinceau faradique, les bains hydroélectriques, les bains statiques sans étincelle, la friction à la boule, le tabouret statique. Ce département annexe d'électrothérapie tient une grande place à la Salpêtrière et déploie une importante activité, recevant des centaines de malades chaque jour. LOUIS PASTEUR et CLAUDE BERNARD viennent s'en rendre compte sur place. Le Docteur JACQUES ARSENE D'ARSONVAL (1851-1940), membre de l'Académie de Médecine en 1888, de l'Académie des Sciences en 1894, directeur du laboratoire de biophysique du Collège de France de 1882 à 1910 et inventeur génial, est un partisan inconditionnel de l'électrothérapie et participera grandement à sa promotion dans le corps médical (il est un des fondateurs de l'Ecole d'Electricité de Paris en 1894).
Le service d'électrothérapie du Docteur VigourouxA l'hôpital, l'engouement pour ces méthodes électriques pousse des médecins spécialistes à demander des unités Le traitement de la neurasthénie par l'électricité en 1893indépendantes dans d'autres hôpitaux parisiens à l'image de la Salpêtrière et à se regrouper en Société d'électrothérapie de Paris (1889). La question se pose alors d'en faire une spécialité distincte et autonome mais le Conseil de Surveillance de l'Assistance Publique juge en 1894 que cette thérapeutique étant incomplète car n'utilisant qu'un agent physique, l'électricité, dont les indications sont alors limitées (surtout neurologiques), elle doit être placée sous la tutelle des chefs de services médicaux et chirugicaux classiques avec la présence d'un médecin certifié dans la méthode. La découverte en 1896 des rayons X et de leurs applications va faire passer au second plan l'électrothérapie et réduire l'intérêt de l'électrodiagnostic. La radiologie consolide la légitimation de la demande de création de quelques services d'électro-radiologie et en 1913, d'une spécialité médicale.
En ville, les médecins électriciens cherchent aussi à se démarquer du médecin généraliste en reproduisant des cliniques spécialisées à l'image des grands services des hôpitaux pour attirer une clientèle et conquérir un marché. L'électrothérapie est développée en ville par quelques promoteurs dont le Docteur GEORGES APOSTOLI (1847-1900), médecin militaire qui quitte l'armée pour s'installer à Paris en 1877. Dénommé par ses amis l'"apôtre de l'électrothérapie", il fonde une clinique d'électrothérapie où il applique l'électricité pour le traitement de maladies gynécologiques (notamment le fibrome utérin par la méthode Apostoli). La propagation de l'électrothérapie se heurte à la difficulté de la maîtrise des différents courants et de leurs effets, à laCabinet d'électrothérapie en ville Le Docteur Georges Apostolipossession d'une instrumentation spéciale et la nécessaire connaissance de la physique. La méthode est sujette à contreverse dans le corps médical qui conteste son efficacité thérapeutique et contrarie certains médecins par le type même de pratique qui consiste en l'introduction dans le corps féminin d'instruments expérimentaux dont on ne connait pas les effets. De plus, l'électrothérapie est parfois réalisée par des non médecins, situation critiquée par le corps médical : des instituts de beauté sont tenus par des industriels et « sous couleur de réparer des ans l'irréparable outrage, raffermissent les seins, diminuent le volume des hanches et traitent des affections diverses ». La présence de grands instituts commerciaux qui distribuent des consultations gratuites et assurent la vente d'appareils renforce la perplexité du corps médical en face du procédé. Dans certains quartiers de Paris, des photographies très suggestives exposent des industriels massant la poitrine ou électrisant le bas du dos de personnes très peu voilées. A Paris, au 15 rue de Calais, un hôtel particulier où exercent des "docteurs-médecins spécialistes" abrite une "académie d'électricité médicale" comportant plusieurs services médicaux : maladies de l'appareil respiratoire, digestif, nerveux, maladies de la peau, des organes génitaux et maladies de la femme peuvent bénéficier de l'électrothérapie. On retrouve la même situation au regard de la pratique du massage avec les instituts de massage et d'hydrothérapie où hygiène, esthétique et thérapeutique fusionnent.

 

          La metallothérapie et le magnétisme

Séance d'application des métaux pour traiter l'hystérieDans le cadre mystérieux sur les malades de la Salpêtrière, notamment sur les phénomènes inquiétant de l'hystérie, le Professeur CHARCOT expérimente de 1877 à 1889 les effets des métaux, puis des aimants et de l'électricité. Le Docteur VICTOR BURQ (1823-1884), médecin original qui avait soutenu sa thèse en 1852 sur l'action des métaux dans la chlorose, fait le tour des hôpitaux de Paris pour tenter d'y expérimenter ses hypothèses. Ce « médecin saltimbanque » obtient le plus de résultat dans le traitement de l'épilepsie, des crampes, des contractures et surtout de l'hystérie. On le trouve partout avec « ses armatures, ses brosses, ses médailles, ses cataplasmes métalliques », ses anneaux de laiton et ses potions ferrugineuses au chlorure d'or, traînant d'un hôpital à l'autre, souvent chassé comme imposteur. CHARCOT lui ouvre ses portes et expérimente métalloscopie (déterminer le métal pour Docteur Anton Mesmerlequel est sensible le patient) et métallothérapie, sous le regard de sommités du monde médical et scientifique dont CLAUDE BERNARD, le maître du Collège de France. On remplace les plaques métalliques par des courants électriques, le Docteur VIGOUROUX se chargeant des expérimentations. Il montre l'action des aimants sur les troubles hystériques ou de l'électricité voltaïque qui reproduit les phénomènes de la métallothérapie.
C'est dans cette ligne d'investigation que l'on a recours à l'hypnotisme mais il existe un embarras manifeste vis à vis de ce somnambulisme provoqué car l'héritage et la tradition des magnétiseurs défendus il y a près d'un siècle sont encore présents avec le sommeil magnétique du Docteur MESMER. On retourne alors sur les idées de BURQ qui défend la magnétisme animal et s'est inspiré des travaux de MESMER, application de solénoïdes aux effets de l'induction.
Le Docteur FRANZ ANTON MESMER (1734-1815), médecin autrichien, élabore la théorie du fluide magnétique produit par tous les êtres vivants qui provoque une force particulière et anime la création. Il préconisme donc de transmettre ce magnétisme animal par imposition des mains persuadé que les lésions magnétisées guérissent. MESMER arrive à Paris en 1778 à la suite d'un scandale provoqué par la famille d'une jeune patiente claveciniste aveugle et sans doute hystérique, ce qui l'oblige à quitter Vienne. Il propage à Paris ses théories sur l'existence d'un fluide universel ; le magnétiseur, en provoquant des crises convulsives, effectue une redistribution harmonieuse du fluide d'où l'effet curatif. MESMER croyait présenter une théorie physiologiste apparentée à celle de l'électricité ou de l'aimantation. Il agissait par des manipulations directes (attouchements, passes magnétiques) ou bien procédés indirects, le célèbre "baquet", dans des séances collectives. Il s'adjoint un "valet toucheur", utilise 4 baquets dont l'un est réservé aux pauvres. Il magnétise un arbre dans la rue de Séance de magnétisme animal autour du baquet de MesmerBondy. MESMER avait fait construire plusieurs répliques de son fameux baquet (le seul exemplaire qui en subsiste se trouve au Musée d'Histoire de la Médecine à Lyon). LOUIS XVI en 1784 crée 2 commissionsMesmer en séance de magnétisme d'enquête dans lesquelles siègent des sommités scientifiques. Les 2 rapports condamnent le magnétisme animal en niant l'existence de tout fluide : « L'imagination sans magnétisme produit des convulsions, le magnétisme sans l'imagination ne produit rien ». MESMER quitte la France en 1784 après le verdict des commissions. Les discussions passionnelles se succèdent jusqu'à ce que les corps savants concluent à l'inexistence du magnétisme animal et l'Académie de Médecine ainsi que différentes Cours de Justice interdisent aux médecins son usage en 1825.
Quelques uns bravent l'interdiction et poursuivent son application dans un cadre expérimental et thérapeutique. Le procédé continue à être utilisé par des profanes professionnels en ville et à la campagne, laissant aussi la place aux charlatans qui exploitent la crédulité des personnes. Les magnétiseurs se présentent comme des voyants qu'éclairent les fluides, les vibrations et les effluves. Ils effectuent des passes avec les mains et mettent au compte des ondes magnétiques le soulagement qu'ils procurent. Certains vendent de petites fioles d'eau magnétisée, d'autres essayent la suggestion hypnotique, « défilent chez eux des sciatiques et des ankyloses, des troubles visuels, urinaires et sexuels, l'asthme et l'anxiété, les céphalées et les phobies, tous les laissés pour compte, incurables, chroniques ou psychosomatiques de la médecine diplômée ». Mais des médecins aussi s'adonnent par complaisance ou par système au jeu troublant des passes magnétiques. Se crééent alors des groupes d'intérêt, les uns clamant à l'exercice illégal de la médecine, les autres accusant les premiers de s'emparer de cette discipline, empirique et longtemps reniée, sous le couvert de l'hypnotisme, à l'image du massage et de la gymnastique de connotation trop péjorative et remplacés par les termes de massothérapie et de kinésithérapie.
Hector Durville magnétise un malade vers 1906Cette situation conflictuelle se concrétise dans la dernière décénie du XIXème siècle. En réponse au Congrès international deLe baquet de Mesmer l'hypnotisme organisé quelques mois auparavant par le monde médical savant, le Congrès international sur le magnétisme, présidé par le COMTE DE CONSTANTIN, réunit en 1889 les pratiquants du magnétisme officiant à l'ombre de la médecine officielle, en dépit des risques de condamnation. Qu'ils soient magnétiseurs de profession, médecins, masseurs, militaires, ecclésiastiques ou simples sympathisants, tous expriment leur mécontentement au regard des médecins spécialistes de la Salpêtrière et de Paris qui s'attribuent le mérite de la découverte du "sommeil provoqué" (l'hypnotisme) par des procédés très proches des procédés magnétiques. Les membres du congrès, et notamment le Docteur JOSEPH GERARD (1834-1898) au parcours atypique tour à tour ouvrier mécanicien, militaire de carrière, magnétiseur puis médecin aux Etats-Unis, définissent des axes de recherche physiologiques et psychiques (c'est dans ce but que fut fondé en 1887 la Société Magnétique de France), voulant se différencier de l'hypnotisme en réprouvant le somnambulisme provoqué, mais retiennent surtout l'action vitale des mains née de l'amour et de la bienveillance du thérapeute, cette force que l'on ne connait pas mais qu'on rapproche de l'électricité ou des aimants. Le passage du XIXème au XXème siècle est cahotique et va connaître un affrontement des groupes d'intérêt autour de l'exercie illégal de la médecine défini par la Loi du 30 Novembre 1892. Les jurisprudences contradictoires, les oppositions au sein du corps médical et la disparition en 1893 de son porte-drapeau le professeur CHARCOT vont laisser le champs libre aux magnétiseurs. La relaxe du magnétiseur MOUROUX en 1897, largement reprise par la presse, donne une recevabilité aux pratiques des magnétiseurs qui, sous l'impulsion d'HECTOR DURVILLE, présentent une pétition de 240 000 signatures remettant en cause la Loi de 1892. Cette pétition est soutenue en 1898 puis en 1902 au parlement par un député-médecin, le Docteur GUILLEMET, par le Syndicat des masseurs et magnétiseurs de France et par le journal l'Eclair. Débute alors une confrontation législative et idéologique entre médecins radicaux et partisans d'un exercice extra-médical, dont l'enjeu est la remise en question du monopole médical sur le traitement des maladies.

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De 1900 à 1946 : une reconnaissance difficile de l'exercice paramédical

Texte et images extraits de l'« Emergence de la Kinésithérapie en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle »,
de Jacques MONET, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Paris I - Panthéon Sorbonne, 2003.

RebouteuxDans un contexte où les médecins voient leurs revenus s'amenuiser (de moitié dans les 10 dernières années du XIXème siècle) en raison de leur nombre croissant (doublant quasiment pour la même période), des progrès de l'hygiène, de la concurrence des consultations gratuites dans les hôpitaux et de la montée du charlatanisme (en 1900, on estime à 40 000 par jour le nombre de consultations à Paris faîtes par des non médecins), cette atteinte au monopole médical est très mal vécue. Le premier Congrès International de Médecine professionnelle et de déontologie médicale dresse en 1900 la situation morale et matérielle des médecins depuis la Loi de 1892. Le constat montre que la profession médicale traverse une crise, « en même temps que le nombre de médecins augmente, leur prestige et leur influence sociale diminuent [...] C'est elle qui donne (le) plus et ne reçoit rien ». Le Docteur DESCOUTS conclue même à la nécessaire union des médecins pour lutter contre « tous les parasites de la profession » et à la rédaction d'un projet de Code de Déontologie.

 

          Une bataille autour du monopole médical

Au début de ce siècle, plusieurs acteurs plus ou moins radicaux défendent ardemment leurs intérêts :

- quelques médecins masseurs, surtout en ville, qui considèrent que le massage fait partie intégrante de l'exercice médical. La présence d'aides quels qu'ils soient est source d'exercice illégal de la médecine et de concurrence. Ils sont réunis au sein de la Société de Médecine et de Chirurgie Pratique, son secrétaire général le Docteur PAUL DIGNAT, partisan de la création d'un Ordre des Médecins en France, condamne les pratiques répréhensibles de certains médecins à Paris « qui confient à une classe d'individus d'ordre tout à fait subalterne des rôles qui devraient être tenus par des docteurs en médecine et ceux qui dirigent des instituts délivrant des diplômes de capacité d'une branche de la thérapeutique notamment le massage ».

Dr Etienne-Jules MAREY- des médecins innovateurs et promoteurs du massage et de la gymnastique médicale, expérimentateurs cherchant à « amener le monde médical à des pratiques autrefois empririques et à les faire passer dans le domaine scientifique ». Ces médecins se regroupent en 1900 au sein de la Société de Dr Fernand LAGRANGEKinésithérapie dont la première séance est présidée par son créateur, le Docteur JUST LUCAS-CHAMPIONNIERE. La présidence d'honneur assurée par le Professeur JULES-ETIENNE MAREY, alors président de l'Académie de Médecine et professeur au Collège de France, procure à la Société de Kinésithérapie un label de respectabilité. On y retrouve aussi le Docteur FERNAND LAGRANGE comme vice-président, promoteur de la gymnastique suédoise et de la mécanothérapie, le Docteur HORACE STAPFER comme trésorier, promoteur de la kinésithérapie gynécologique, le Docteur MESNARD comme secrétaire général, promoteur de la gymnastique orthopédique et le Docteur GEORGES BERNE comme membre, promoteur de la massothérapie. Un autre de ses membres et secrétaire adjoint, le Docteur DAGRON, assistant du Docteur LUCAS-CHAMPIONNIERE, va être le porte parole de la Société de Kinésithérapie au cours des premières années et orienter sa politique en 2 directions complémentaires : relever le degré d'expertise en multipliant interventions et publications scientifiques, et préparer le corps médical à la constitution d'une spécialité médicale et l'utilisation inéluctable des aides-médicaux, les "frictionneurs", « domestiques intelligents » asservis au médecin. C'est ainsi qu'il l'exprime dans ses communications lors du Congrès Internationnal de Médecine professionnelle et de déontologie médicale, pointant du Dr Georges DAGRONdoigt les masseurs-magnétiseurs sédicieux se faisant passer pour médecins et que l'on ne peut soumettre à la volonté du corps médical. Seul le massage général hygiénique peut être entrepris sans ordonnance notamment dans les instituts de bains.

- des masseurs et des masseuses dont la légitimité s'appuie sur la prise de position des premiers médecins promoteurs du massage, notamment les Docteurs DUJARDIN-BEAUMETZ et ESTRADERE qui dès 1864 et confirmée en 1886 reconnaissent l'utilité des aides masseurs, hommes pour leurs qualités physiques et leur force, femmes pour leur douceur et leur bienséance. Par effet de mode et de publicité, masseurs et masseuses de métier sont de plus en plus visibles ; ils ouvrent des cabinets et vont en ville avec plus ou moins de succès proposer leurs services à des patients,Dr Paul ARCHAMBAUD certains même adressés par des médecins hospitaliers. Quelques masseurs appliquent des honoraires qui dépassent ceux des médecins, ce que ces derniers ne manquent pas de faire remarquer au corps médical. L'Ecole Française d'Orthopédie et de Massage (E.F.O.M.), la première école de massage, est ouverte en 1895 par un jeune médecin de 31 ans, le Docteur PAUL ARCHAMBAUD. L'enseignement se divise en 2 branches : d'une part l'"orthopédie manuelle", réservée aux médecins et aux étudiants en médecine, consiste en la massothérapie et au reboutement médicalisés. D'autre part le massage, destiné aux profanes masseurs de métier pour qu'ils acquièrent des notions suffisantes afin d'exercer avec compétence et honnêteté leur profession, sans sortir de leurs attributions. L'école est payante et exige d'avoir réussi un examen d'entrée portant sur des notions d'hygiène et d'anatomie élémentaires. A la fin du cursus, après nouvel examen, un certificat (et non un diplôme, pour ne pas froisser le corps médical) est remis à l'étudiant, attestant que ce dernier est apte à soigner les malades par le massage et qu'il s'engage à le faire sur prescription médicale uniquement. Le Docteur ARCHAMBAUD rassure le corps médical sur les risques de dérapage de ses éleves vers l'exercice illégal en lui garantissant d'inspirer aux masseurs « la terreur salutaire des peines qu'ils encourent en s'exposant à commettre des homicides par imprudence ou des blessures plus ou moins involontaires ».

- enfin, des masseurs-magnétiseurs qui proposent une médecine différente inspirée des pratiques mesmériennes, basée sur les dons et les fluides magnétiques nés de la bonté et de l'empathie, en opposition avec la médecine officielle et savante. Représentés par la puissante Société Magnétique de France fondée en 1887 et disposant d'une école dirigée par HECTOR DURVILLE, les magnétiseurs se placent dans le champs de la médecine alternative et d'une thérapie faisant appel au spiritisme, à l'occultisme et à l'ésotérisme sous couvert de la psychologie expérimentale. Si les masseurs et masseuses de l'E.F.O.M. peuvent réclamer des clients auprès des médecins, les magnétiseurs ne peuvent pas prétendre à la même démarche. Mais récupérant les déçus d'une médecine conventionnelle souvent impuissante (on est qu'au début de l'expérimentation clinique de CLAUDE BERNARD, des notions d'aseptie microbienne de PASTEUR et 3 décénnies avant le premier antibiotique), les magnétiseurs se trouvent en rivalité immédiate avec les médecins. Ces derniers demandent à l'Etat de rendre illégal l'exercice des magnétiseurs qui peuvent concurrencer la médecine. Mais malgré la jurisprudence du 27 Décembre 1900 de la Cour de Cassation de Paris, l'école de masseur-magnétiseur poursuit ses activités en toute tranquilité sous la protection de la Loi sur l'enseignement supérieur.

Chacune de ces organisations possède sa presse et ses publications, lançant à pleines pages nombre de pamphlets s'indignant qui de l'incompétence, qui des malversations, qui du corporatisme des autres. Ainsi, une tentative de déstabilisation de l'E.F.O.M. se dévoile par la publication d'un article, par la suite avéré diffamatoire, dans le Journal de médecine de Paris, affilié à la Société de Médecine et de Chirurgie Pratique. Le Docteur LIEVRE cite en 1904 dans son petit ouvrage Massage et Masseurs les nombreuses adresses d'instituts et de cabinets de massage qu'il a relevé dans le Bottin et critique les pratiques de charlatan et les écoles de massage, « magasins de diplôme de masseur où l'on vend des parchemins ». La même année, le Docteur SAINT-AURENS rapporte dans Le Charlatan de la Médecine les activités des groupes de masseurs professionnels qui exercent illégalement la médecine et en particulier celui des masseurs-magnétiseurs qui présente une organisation puissante et mobilisable.

 

          Les prémices d'un massage extra-médical

Lettre d'ArchambaudLa nomination le 5 Janvier 1905 dans l'Ordre national de la Légion d'Honneur vient récompenser le Docteur ARCHAMBAUD pour ses actions menées au service de la profession médicale. Cette gratification couronne les services rendu par le directeur de l'E.F.O.M. à un bon nombre d'établissements thermaux en leur donnant des masseurs formés aux principes et aux notions dont ils usent de la manière la plus modeste et la plus discrète sous l'autorité des médecins dont ils ne sont que de très humbles auxiliaires. Mais cette manifestation marque une division entre le monde de la pratique quotidienne parisienne et le corps savant médical de l'université et des hôpitaux, dont aucun médecin n'est présent ce jour là.

C'est à ce moment que les Sociétés de Kinésithérapie et d'Electrothérapie vont s'associer pour faire pression sur le monde médical savant et initialiser les premiers congrès de physiothérapie. Le 1er Congrès International de Physiothérapie se déroule en Liège en Août 1905, en présence de près de 600 médecins. En marge du Congrès est présentée une exposition d'appareils (notamment ceux inventés et commercialisés par ZANDER), de photographies d'instituts, de brochures et de livres traitant de la thérapeutique par les agents physiques où des constructeurs peuvent exposer leurs matériels. C'est en quelque sorte l'ancêtre du Salon mondial de la rééducation. Ce premier congrès est l'occasion de présenter et confronter les nouvelles méthodes physiothérapiques dans les différents pays européens : d'une part la kinésithérapie, la mécanothérapie, le massage et la massothérapie ainsi que la thermothérapie, l'aérothérapie, l'hydrothérapie et la crénothérapie, d'autre part l'électrothérapie et l'électrodiagnostic, la photothérapie, la radiothérapie et la radiologie. Le Congrès soulève les problèmes de l'absence d'enseignement médical et universitaire de ces méthodes et donc de l'empirisme et de l'exercice illégal qui en découle. Malgré les nombreux thèmes et communication durant le Congrès, l'exercice illégal du massage et de la gymnastique occupe la plupart des débats qui se portent sur l'existence d'aides en massage et la délivrance de diplômes par des écoles de massage. Le Docteur ARCHAMBAUD est à mis à contribution pour en prendre la défense et les discussions en arrivent à la conclusion d'une pratique autorisée mais sous contrôle régulier et immédiat et la responsabilité d'un médecin, après une formation dans un école structurée et homologuée par l'Etat. Le 2ème Congrès International de Physiothérapie, à Rome en 1907, s'achève en posant des conclusions identiques.

Le Congrès sur la Répression de l'Exercice Illégal de la Médecine en 1906 à Paris est une sorte de barouf d'honneur sur le monopole médical de la pratique du massage. Organisé par la Société de Médecine et de Chirurgie Pratique, il se propose de tenter de limiter l'exercice illégal de la médecine « par les barbiers, les coiffeurs, les herboristes, les bandagistes, les pharmaciens, les gardes malades, infirmiers, panseurs et les masseurs » et déplore le recrutement de certaines écoles qui se fait sans contrôle d'un médecin en acceptant même « des femmes du monde tombées dans la misère et tous les ratés des autres métiers ». Rappelant les condamnations des masseurs-magnétiseurs et la juriprudence qui s'en est suivie, les syndicats médicaux sont exhortés à poursuivre les illégaux. Des arguments en faveur d'un massage médical sont avancés, comme les risques de blessure (la seule référence à l'époque étant les "rudes" massages des bains turcs), les manquements à la salubrité publique et à la déontologie.
Mais déjà les mentalités ont évolué et s'installe une tolérance de l'aide-masseur, tolérance qu'officialise ce congrès : le massage médical devient permis mais seulement sur prescription médicale et sous la responsabilité du médecin. Le massage hygiénique est autorisé sans ordonnance. Les aides-masseurs peuvent disposer d'une école de formation sous la direction des docteurs en médecine français (cette précision de nationalité évitant ainsi l'importation d'un modèle suédois, trop indulgent). Le Docteur ARCHAMBAUD défend son école en s'engageant à « inspirer la terreur aux masseurs de l'accident possible ». Il ne considère pas l'E.F.O.M. comme un établissement d'enseignement supérieur médical, les aides-masseurs qui en sortent certifiés ne risquent donc pasde s'apparenter aux docteurs en médecine. Au contraire, les malades riches n'hésiteront pas entre le médecin massothérapeute et l'aide-masseur, métier de Apprentissage du massage à l'école d'infirmière de l'Assistance Publique à Parismanoeuvre pouvant travailler à bon marché pour servir les personnes peu fortunées, les petits employés, les anciens ouvriers. Les intervenants du Congrès proposent un enseignement, à l'image de la Suède, de 2 ans au minimum comprenant les techniques de massage et de gymnastique mais aussi l'anatomie et la physiologie, sous la responsabilité du ministère de l'Instruction Publique. C'est dans ce contexte favorable au massage paramédical que nouveaux acteurs vont apparaître.

Depuis 1899 déjà, dans les quatre écoles d'infirmiers et infirmières des hôpitaux de Paris, un cours de massage pratique est distribué aux élèves infirmières. Désigné comme Cours complémentaire, c'est-à-dire facultatif, il est adopté par le Conseil Supérieur de l'Assistance Publique et s'appuie sur la division en deux éléments : le massage général qui demande du temps et pouvant être confié à un masseur ou une masseuse ordinaire, un infirmier ou une infirmière, et le massage local médical, Cours de massage à l'école Valentin Haüy vers 1950souvent de courte durée, qui doit rester du domaine médical. Les infirmières n'ont aucune instruction préparatoire d'anatomie, de physiologie et de pathologie, elle ne doit en aucun cas être tentée de prendre des initiatives, c'est une aide obéissante et dévouée du médecin.

Depuis plus de 15 ans, l'organisation des aveugles suit les expériences faites à l'étranger où des aveugles, après une formation, pratiquent le massage, comme au Japon par exemple. L'Association Valentin Haüy regroupe plusieurs écoles d'instruction des aveugles dont la première fut fondée par VALENTIN HAUY (1745-1822), employé au Ministère des Affaires Etrangères et fervent typhlophile auprès du gouvernement royal. Son objectif est la conquête d'une position économique et sociale et le refus de l'exclusion des aveugles. Partant du principe que la main de l'aveugle est plus entraînée à l'exercice du toucher et de la palpation que celle des clair-voyants, elle voit dans le massage une opportunité professionnelle : « si la peau masque les lésions au regard des hommes, alors les manipulations peuvent être réalisées par ceux privés de la lumière » et l'incapacité des aveugles de voir la nudité paraît rassurant auprès des femmes. En 1906, un enseignement de massage spécialement conçu pour les aveugles est fondé par l'Association Valentin Haüy. La première école des masseurs aveugles, l'Ecole Valentin Haüy, est créée sous l'égide du Docteur FELICIEN FABRE (cette école portera ensuite son nom). D'une excellente notoriété, elle concurrence l'E.F.O.M. dans la fourniture des masseurs aux villes d'eau et ses élèves, dont la formation est rigoureuse et longue (2 ans contre quelques semaines pour l'E.F.O.M.), ouvrent des cabinets en qualité de masseurs libres avec la bienveillance de quelques médecins qui leur adressent des patients.

 

          La Physiothérapie, bras droit de la médecine

Dr StapferMais en l'absence d'une reconnaissance et d'un enseignement universitaires, la massothérapie et la physiothérapie sont négligés par les médecins hospitaliers, ne les considérant pas comme une spécialité, tout au plus des adjuvants empiriques à la médecine classique. Sans en maîtriser les effets, les indications ni la posologie, la faculté de médecine ne peut laisser se développer une thérapeutique en marge de l'institution.
Les intervenants du 1er Congrès de Physiothérapie des médecins de langue française à Paris en 1908, vont s'attacher à démontrer les effets des différents procédés physiothérapiques et communiquer les résultats de leurs expérimentations comparatives avec les thérapies classiques afin de crédibiliser ces nouvelles techniques auprès du corps médical universitaire. La démarche se veut résolument scientifique et médicale et rejette le flou empirique qui avait cours jusqu'à maintenant : « si le congrès avait eu lieu en 1880, ses membres se seraient recrutés dans le corps des infirmiers, à eux seuls était dévolu l'exercice de la physiothérapie dans les hôpitaux. Voulait-on masser un malade, on s'adressait à l'infirmier le mieux musclé qui passait à tabac consciencieusement la malheureuse victime. Le massage, l'électrothérapie, la balnéation étaient alors les seules branches de la physiothérapie très vaguement connues ».
Chaque année qui va suivre et jusqu'en 1914 est organisé à Paris, à tour de rôle par chaque discipline de physiothérapie , un Congrès de Physiothérapie des médecins de langue française. Le 2ème colloque, en 1909 donc, sous l'égide de la Société de Kinésithérapie (S.D.K.) et de son représentant le Docteur STAPFER, s'ouvre par ses mots : « c'est un kinésithérapeute qui vous souhaite la bienvenue... Le mot kinésithérapie dont je suis le deuxième père » (sous-entendu après GEORGII). En plus des propriétés des différents procédés physiothérapiques, sont abordés des problèmes corporatifs, déontologiques, l'exercice illégal et le sentiment des médecins physiothérapeutes d'être déconsidérés par leurs pairs, à cause de l'image péjorative d'une médecine manuelle, fatiguante et chronophage. Cela amène d'ailleurs le Docteur FAURE de la S.D.K. à démontrer la necessité des aides qualifiés.

Pr Nicolas GILBERTDevant les demandes renouvelées d'enseignement de la physiothérapie par des groupes constitués de médecins spécialistes, le Professeur AUGUSTIN NICOLAS GILBERT, médecin agrégé au cursus exceptionnel, membre de l'Académie de médecine en 1905 et co-auteur en 1909 d'une véritable encyclopédie médicale de thérapeutique (La Bibliothèque de Thérapeutique), ouvre un cours de physiothérapie dans le cadre de sa chaire de thérapeutique. Ces cours théoriques sont enseignés tous les jeudis à 17 heures à la faculté de médecine par des professeurs anciens internes des hôpitaux et agrégés pour chaque discipline. Mais dans ce monde savant où titres et fonctions sont plus importants que les méthodes enseignées, les praticiens experts non hospitaliers des sociétés des disciplines de physiothérapie pré-existantes sont exclus, participant à la « levée de boucliers dans la masse des praticiens contre l'enseignement universitaire actuel » élitiste et hospitalier, déjà initiée par les étudiants en médecine. Devant le très grand nombre d'auditeurs à l'enseignement de physiothérapie (de l'ordre de 700), l'enseignement pratique ne peut être suivi par tous. Des cours de perfectionnement et des cours de vacances, payants, sont alors proposés pour compléter l'aspect théorique. En 1910, cet enseignement pratique s'installe à l'Hôtel Dieu. Il se divise alors en 3 branches : l'application de l'électricité et du rayonnement, celle des mouvements passifs, actifs et des pratiques manuelles, et enfin celle de l'eau et de l'air.
Le 3ème Congrès International de Physiothérapie se tient à Paris en 1910 et réunit près de 1000 congressistes dont les milieux médicaux de 26 pays, les membres du gouvernement français et les élites sociales. Ce congrès est l'accomplissement du tournant scientifiste entreprit en France 2 ans auparavant. Il est de même l'occasion d'une importante et vaste exposition présentant au gré de ses stands les stations thermales et les sanatoriums, les instituts et l'instrumentation de physiothérapie, les aliments de régimes et les produits diététiques, les livres, brochures et revues diverses et enfin une rétrospective des étapes parcourues par la médecine physique.
Une orientation nouvelle occupe les débats du Congrès, centrée sur l'éducation physique et la gymnastique pédagogique. Les communications y faisant référence étant tellement abondantes que les membres de la S.D.K. intervenant sur le Congrès décident du changement de dénomination de leur discipline : malgré les regretsAppareil de Massothérapie du Docteur STAPFER qui s'était investi dans sa conception 20 ans plus tôt, allant jusqu'à demander l'avis du secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, le terme de Kinésithérapie est remplacé par celui de Cinésithérapie. Ce mot suggère plus spécifiquement l'idée de mouvement, de rééducation physique et constitue la réponse aux nouveaux enjeux, comme l'incontournable présence du médecin dans toutes les gymnastiques des enfants, normaux et anormaux, en éducation physique à l'école. Faisant passer l'exercice illégal du massage au deuxième plan, le congrès émet le voeu que la direction et la surveillance des exercices corporels à l'école primaire soient confiées aux médecins inspecteurs des écoles, laissant ainsi se dessiner des conflits d'intérêts avec les instituteurs et les professeurs de gymnastique et d'éducation physique.

Après 1910, la S.D.K. pert peu à peu de son influence et malgré de nouvelles diversifications de la méthode kinésithérapique comme le massage plastique, associé à la diététique, ou la gymnastique respiratoire, elle mobilise peu le corps médical, surtout en milieu hospitalier. La mécanothérapie y rencontre plus de succès pour des raisons de rentabilité (économie de temps, roulement des malades plus important et un infirmier suffit à la surveillance). Espérant mieux introduire les domaines de la Kinésithérapie dans l'arsenal thérapeutique médical en proposant une méthode standarisée, plusieurs membres de la S.D.K. collaborent en 1912 dans un ouvrage intitulé "Manuel Pratique de Kinésithérapie". Mais toujours orpheline d'un enseignement universitaire, la S.D.K. périclite avec la disparition de ses promoteurs et ne joue plus qu'un rôle subalterne dans les congrès de physiothérapie suivants où de nouvelles disciplines, comme la radiothérapie, prennent leurs marques.

Hélas, il faudra les deux guerres mondiales pour que la Kinésithérapie fasse définitivement la preuve de son efficacité en permettant une récupération des combattants plus rapide, sans séquelles ou avec des séquelles moindres.

 

          Une légitimation définitive de l'exercice paramédical

Devant le nombre considérable de victimes durant la guerre de 1914-18, des centres spécialisés vont rassembler l'ensemble des pratiques physiothérapiques, légitimant la physiothérapie dans ce qu'elle a d'utile pour la récupération et la rééducation des blessés. Les principaux procédés, disséminés et développés vers 1890 autour de spécialités émergentes, se trouvent ainsi regroupées par le service de santé des Armées afin de réduire les conséquences des blessures, en particulier de l'appareil locomoteur. Ainsi, la guerre, « fléau social », va promouvoir empiriquement ces méthodes jusqu'ici réservées à des affections spécialisées. Les hôpitaux et les « centres de mécanothérapie » manquent de main-d'œuvre. Les médecins et le personnel soignant ne sont pas assez nombreux. Les Pouvoirs publics autorisent le recrutement de blessés inaptes à retourner au front, certains deviennent infirmiers, d'autres sont affectés aux services de rééducation où ils retrouvent des masseurs, des gymnastes, des professeurs de gymnastique plus ou moins qualifiés. Les médecins sont formés à la rééducation en 15 jours. Tout le monde se forme « sur le tas ». Le Grand Palais est devenu un vaste centre de rééducation dont les résultats sont probants. Selon les autorités militaires, 80 % des blessés peuvent retourner au front, pour les autres, les taux d'invalidité sont notablement inférieurs à ce qu'ils auraient été sans rééducation.

La Nation a un devoir de reconnaissance envers ses morts, ses blessés mais aussi envers le personnel soignant qui a rendu d'immenses services. L'armée a compté jusqu'à 100 000 infirmiers. Le législateur va devoir en tenir compte et adapter la réglementation à la réalité. La profession d'infirmière reçoit en 1922 un Brevet de Capacité Professionnelle puis, sous l'action conjuguée des aveugles et des responsables d'écoles, le diplôme d'État d'infirmier masseur en 1924 et de masseur aveugle en 1926 sont instaurés. Il comprennent des enseignements théoriques et pratiques de massage, de mécanothérapie, de rééducation motrice, d'orthopédie, de kinésithérapie, de gymnastique, d'hydrothérapie et de physiothérapie.

Les dirigeants des syndicats (dont fait partie la Chambre Syndicale des auxiliaires médicaux, créée en 1934 et regroupant des masseurs, des infirmiers et des pédicures) vont développer la formation et montrer que le métier s'appuie sur des connaissances théoriques et abstraites. Ils ont compris que le développement d'actions de formation (conférence, cours de perfectionnement et congrès) renforcent l'existence du métier et favorisent une professionnalisation. Un effort particulier des responsables va chercher à persuader le pouvoir médical et les institutions de leur accorder l'autonomie de la pratique du massage et un statut propre indépendant. En 1937, au cours d'un congrès international, les professionnels demandent « aux médecins la délivrance d'ordonnances prescrivant qualitativement et quantitativement : réprouvant par ailleurs tout professionnel qui ne se tiendrait pas dans la limite de son devoir et de ses droits ».

Durant la guerre 1939-1945, les groupes professionnels vont poursuivre la demande de reconnaissance de leurs activités. On assiste à la mise en place de dispositions législatives et réglementaires concernant trois professions auxiliaires de la médecine :

- 1942 : décret instituant le diplôme de moniteur de gymnastique médicale « en vue de pratiquer la gymnastique médicale et orthopédique dans un but de rééducation physique ». Le cours complémentaire de kinésithérapie de l'hôpital des Enfants malades en est à l'origine mais aucun diplôme ne sera délivré jusqu'à la fusion de ce titre avec celui de Masseur Médical en 1946.

- 15 Janvier 1943 : loi réglementant l'exercice de la profession de masseur médical chargé de l'organisation et du fonctionnement des écoles. Elle confère au titulaire du Brevet Professionnel Masseur Médical la pratique «... sur ordonnance médicale descriptive, qualitative et quantitative, l'exercice de la massothérapie ».
L'Etat agréé des écoles, certaines sont privées en ville, d'autres dépendent des facultés de médecine, principalement en province. Un programme des études est défini ainsi que les épreuves du brevet qui comprend de l'anatomie, de la mécanique articulaire, de la physiopathologie, des traitements physiothérapiques et kinésithérapiques, des épreuves d'hygiène et d'hydrologie, de massage, de gymnastique médicale et de rééducation fonctionnelle.

Création de la Profession- 1944 : loi instituant un certificat d'aptitude à la profession de Pédicure ,

La Loi n° 46-858 du 30 Avril 1946 créé une nouvelle profession qui doit oeuvrer à la « reconstruction sanitaire du pays » en officialisant le Diplôme d'État de Masseur-Kinésithérapeute. Issu de l'union du diplôme de Masseur Médical et de celui de Moniteur de Gymnastique Médicale, ce diplôme d'Etat confére à ses titulaires le monopole de l'exercice du massage et de la gymnastique médicale, il recouvre initialement le massage, la massothérapie, la gymnastique médicale et orthopédique, la rééducation fonctionnelle et certains actes de physiothérapie.
Cette même loi a créé un Conseil Supérieur de la Kinésithérapie composé en nombre égal de représentants de l'Administration, de médecins spécialisés dans le massage ou dans la gymnastique médicale, et de masseurs-kinésithérapeutes. Il est chargé de donner son avis sur les questions de formation et d'exercice. Il sera substitué au Conseil Supérieur des Professions Paramédicales en 1973.

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De 1946 à 2006 : une évolution vers plus d'autonomie et de responsabilité

Texte extrait de «La profession des masseurs kinésithérapeutes de la nuit des temps à nos jours »,
de J.L. COMON, Cahiers de Kinésithérapie, 1996.

L'union entre les masseurs et les gymnastes médicaux a offert à ces groupes professionnels un nouveau champ d'activités où les techniques de soins, passives et actives, ont été réunies pour créer la kinésithérapie. D'un côté, les gymnastes médicaux, issus de l'Éducation Nationale, cherchent à maîtriser la formation et cumuler deux exercices, de l'autre les aveugles et les masseurs souhaitent conserver une formation spécifique : finalement, les médecins et l'administration de tutelle conserveront autorité sur leurs auxiliaires.

De 1951 à 1965, on assiste au développement de la rééducation fonctionnelle et professionnelle et à l'émergence de la médecine physique. A partir du moment où les médecins ont été convaincus que la kinésithérapie était une thérapeutique, il était inutile qu'ils la fassent entrer dans leur champ puisque le savoir médical comprend la prévention, le diagnostic, la prescription et le traitement donc la rééducation centrés sur une découpe du corps (orthophonie, orthopédie, ergonomie, psychomotricité).

Dès 1953, une sous-commission du Conseil Supérieur de la Kinésithérapie préconisait une refonte du programme d'études dont la durée passait à trois ans. Il faudra attendre 15 ans et les événements de mai 1968 pour que la profession obtienne cette troisième année, officialisation par le décret du 28 mars 1969. Pourtant, l'évolution des connaissances, les progrès de la médecine et de la chirurgie, l'extension de l'intervention du kinésithérapeute à des domaines nouveaux - cardiologie, uro-gynécologie - militent toujours pour une augmentation de la durée des études. Depuis 1992, les études se font maintenant en quatre ans dans la moitié des instituts de formation, en collaboration avec les facultés de médecine,

Un diplôme de moniteur-cadre de masso-kinésithérapie a été créé par le décret du 6 septembre 1976. Un arrêté paru ce même jour agréait des écoles de cadres de Kinésithérapie. Le décret du 18 août 1995 abroge l'arrêté du 6 septembre 1976 et crée un diplôme de cadre de santé commun à de nombreuses professions paramédicales. La nouvelle appellation sera infirmier cadre de santé, Masseur-Kinésithérapeute cadre de santé, etc. L'orientation est la formation de cadre gestionnaire plus que cadre formateur.

Août 1995, parution du décret de compétence relatif aux actes professionnels et à l'exercice de la profession. Il confirme un élargissement des compétences tant en ce qui concerne les soins que la formation, la prévention et la recherche. Un nouveau décret sort au Journal Officiel du 9 Octobre 1996 en retrait sur l'uro-gynécologie mais par contre établit un diagnostic kinésithérapique, la gymnastique médicale préventive hors prescription, les aspirations trachéales et l'application de contentions et d'orthèses provisoires et inclut le DLM dans le massage. En Février 2000, les notions de quantitativité et qualitativité de la prescription médicale sont supprimées. Parallèlement, les sanctions concernant l'exercice illégal de la masso-kinésithérapie sont renforcées par l'ordonnance du 26 Août 2005, et la loi du 2 Août 2005 clarifie une situation confuse dans le domaine du massage de bien-être, mettant fin à une guerre procédurière entre masseurs-kinésithérapeutes et esthéticiennes.
Enfin, l'arrêté du 9 Janvier 2006 défini le droit de prescription attribué aux masseurs-kinésithérapeutes, une révolution dans une profession auxiliaire médicale et un grand pas vers l'autonomie.

Allongement de la durée des études, augmentation du domaine d'intervention et de la compétence signent une ascencion sociale. Mais l'élément le plus déterminant de cette ascension, sur le plan social mais surtout économique, sera la signature de conventions avec les organismes d'Assurance maladie permettant le remboursement des actes professionnels. La première Convention nationale fut signée en 1972, la dernière en 2007. Avant 1972, existaient des conventions départementales. Les premières furent signées en 1960.

Les initiateurs de la loi de 1946 peuvent être satisfaits, la profession a acquis un statut légal mais aussi social. Cependant, il manque une pierre à l'édifice. Toute profession, en particulier libérale, considère élue pour atteindre la pleine respectabilité, il faut un diplôme, un monopole et une juridiction ordinale particulière Logo de l'Ordre des Masseurs-Kinésithérapeuteschargée d'imposer le respect des règles professionnelles que la profession s'est donnée. Le Journal Officiel du 5 février 1995 a créé l'Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, mais des obstacles politiques n'y donneront aucune suite. Il faudra attendre presque 10 ans pour que les représentants de la profession fassent aboutir leur démarche.
Le 9 Août 2004 paraît la Loi de Santé Publique instituant définitivement l'Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, véritable concrétisation de l'autonomie et de la responsabilité de la Masso-Kinésithérapie. Son rôle est d'assurer l'indépendance de la profession et la probité de ses membres. Il régit les rapports entre professionnels et avec leurs patients. Les masseurs-kinésithérapeutes sont enfin jugés par leurs pairs, sur la base de leur Code de Déontologie. L'Ordre défend aussi la profession contre l'exercice illégal. Il collabore avec la Haute Autorité de Santé (HAS) pour organiser des  actions d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP). Il est chargé de diffuser les règles de bonnes pratiques professionnelles. Enfin, L’Ordre assure une mission d’administration de la profession. Pour cela, il organise et gère un Tableau de l’Ordre où sont inscrits tous les professionnels en exercice.

Soixante ans après la création du Diplôme d'État des Masseurs-Kinésithérapeutes, la profession a atteint l'âge de la maturité et se prépare à affronter l'avenir.

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Sources bibliographiques :

  1. « Emergence de la Kinésithérapie en France à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle », MONET Jacques, Thèse de Doctorat en Sociologie, Université de Paris I - Panthéon Sorbonne, 2003. Formidable travail de recherche historique et sociologique dont je me suis largement "inspiré" en essayant tant bien que mal d'en résumer les 700 pages, en privilégiant plutôt l'aspect historique que le raisonnement sociologique.
  2. « La Kinésithérapie », Encyclopédie Hachette Multimédia, Ed. Hachette Livre, 1998.
  3. « Physiothérapie », MONET J., Annales de Kinésithérapie T.24, N° 4, p. 197-203, Ed. Masson, 1997.
  4. «La profession des masseurs kinésithérapeutes de la nuit des temps à nos jours », COMON J.L., Cahiers de Kinésithérapie, 1996.

Sources internet :

  1. Wikipedia : www.wikipedia.org.
  2. Légifrance : www.legifrance.gouv.fr.
  3. « Présentation de l'Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes », Conseil National de l'Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes : www.cnomk.org.
  4. « Les textes officiels », Fédération Française des Masseurs-Kinésithérapeutes Rééducateurs : www.ffmkr.com.
  5. « Patients of Docteur Mezger show their faces... », Zeeuws Archief : http://www.zeeuwsarchief.nl/newframe.htm?/nieuws/mezger-eng.html
  6. « Massothérapie » et autres massages, PasseportSanté : www.passeportsante.net.
  7. « L'ADERF, le cadre historique de 1847 à 1946 », IFMK de l'ADERF : www.aderf.com.

 

© 2007 Florent DELES